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Nouvelle scientifique

 

Le 27 mars 2017

 

 

Aux limites de la cohésion de la matière

 

En 2016, une équipe de chercheurs du centre d’études nucléaires de Bordeaux Gradignan (CENBG, CNRS/Université de Bordeaux), en collaboration avec des équipes internationales, ont découvert un nouvel isotope radioactif très rare : le 67Kr. Ce noyau de Krypton possède la particularité de se désintégrer en émettant deux protons, un phénomène très rare prédit dès les années 1960. Ce résultat permet de mieux comprendre le comportement de la matière lorsqu’elle est poussée dans ses retranchements.

 

La radioactivité est un phénomène naturel présent dans le noyau atomique. Sa stabilité est liée à un équilibre entre les protons et les neutrons qui le composent. Si cet équilibre est rompu, ce dernier va alors se désintégrer pour donner un noyau plus stable, en émettant des particules. En étudiant les compostions en nucléons des différents noyaux, il a été possible de concevoir une carte représentant tous les noyaux possibles. Aujourd’hui, on dénombre 287 espèces nucléaires « naturelles » stables et plus de 2 500 nucléides radioactifs. Parallèlement, la nature des particules émises (alpha, béta, gamma, etc.) dépend fortement de cette composition. Et c’est en étudiant les noyaux les plus exotiques, aux limites de la cohésion de la matière, que la radioactivité à un proton a été découverte en 1982, et dans les années 2000, la radioactivité à deux protons.

 

La radioactivité 2-protons, un phénomène très rare

Parmi les différents types de radioactivités dont nous avons connaissance, la radioactivité 2-protons est un phénomène très rare. Il a été prédit au début des années 60, mais il a fallu attendre le début des années 2000 pour que l’équipe "Noyaux Exotiques" du CENBG et ses collaborateurs puisse mettre expérimentalement en évidence l’existence de cette radioactivité. Il ne peut s’observer que pour quelques noyaux situés au-delà de la drip-line (ou limite d’existence des noyaux), c’est-à-dire lorsque l’interaction nucléaire forte ne peut plus retenir les protons excédentaires. Ce phénomène ne concerne que les noyaux très riches en protons.

Ce type de radioactivité résulte de la conjugaison de deux effets produits par l’interaction qui s’exerce entre les nucléons. D’une part l’appariement des nucléons identiques (ici les protons) qui amène des configurations énergétiques favorables. Et d’autre part l’effet de barrière de potentiel (appelée barrière coulombienne) qui piège les protons à l’intérieur du noyau en raison de leur charge électrique. Ceci a pour conséquence que les deux derniers protons peuvent être maintenus ensemble, pour un certain temps, à l’intérieur du noyau.

 

 

Les noyaux produits par collisions nucléaires violentes sont triés par le séparateur en fonction de leur nombre de protons et de neutrons (ici Z est le nombre de protons, A / Q est le rapport du nombre total de constituants et de la charge électrique). Chaque « tâche » correspond à un type différent de noyau. Les noyaux produits et identifiés sont stoppés dans un dispositif permettant de mesurer l’énergie des particules émises lors de leur décroissance radioactive. Ainsi, dans le cas des noyaux 67Kr, ces mesures montrent un pic particulier qui a été identifié comme la signature du phénomène de radioactivité 2-protons. © Jérôme Giovinazzo

 

Cette paire finit néanmoins par franchir la barrière coulombienne, par un effet quantique appelé effet tunnel. Du fait de l’interaction d’appariement, le noyau ne peut éjecter les deux protons l’un après l’autre, mais doit émettre la paire simultanément. Un tel noyau n’existe donc que parce que le sous-système composé de 2 protons est fortement corrélé à l’intérieur du noyau, alors qu’il est complètement dissocié une fois éjecté (un ensemble de deux protons seuls ne peut pas être lié). Les prédictions théoriques les plus récentes indiquaient qu'une masse A d'environ 50 (nombre de nucléons du noyau) devrait être la plus favorable à l’observation.

 

L’étude d’une radioactivité exotique

Pour produire de tels noyaux, avec un très grand déséquilibre entre protons et neutrons, il faut utiliser des réactions de fragmentation du projectile. Des noyaux stables sont envoyés avec une très grande énergie sur une cible dans laquelle des collisions violentes vont leur arracher des nucléons, pour produire toute une variété de noyaux. Les noyaux recherchés étant les plus exotiques, ils sont aussi les moins produits. Il faut alors un important dispositif de séparation des fragments en fonction de leur nombre de protons et neutrons, basé sur les champs magnétiques et électriques, pour sélectionner et identifier les noyaux d’intérêt.

 

Ceux-ci, une fois sélectionnés, sont implantés dans un dispositif de détection qui permet ensuite de mesurer les informations concernant leur décroissance radioactive, qui a lieu quelques millisecondes après la production des noyaux.

 

Dans un premier temps, un système de détection relativement simple est utilisé. Les noyaux radioactifs sont implantés dans un dispositif composé de diodes en silicium qui mesure (éviter la répétition de « permettre ») l'énergie des particules émises. Ce type d’expérience ne permet pas l'observation directe de chacun des protons émis, et la mise en évidence du phénomène de radioactivité 2-protons résulte d'une détermination indirecte. Celle-ci est basée sur l'identification d'une transition d'énergie bien définie, sur l'absence de particule béta et sur la reconnaissance de la radioactivité du noyau fils (noyau résultant de l'émission des 2 protons), lui-même encore très éloigné de la stabilité.C'est ainsi que cette nouvelle radioactivité a été établie par l'équipe du CENBG en 2002 pour 45Fe lors d'une expérience menée au GANIL (Caen) et confirmée par les résultats d'une expérience au GSI (Darmstadt), et en 2005 pour 54Zn au GANIL.

 

La photo présente le bout de la ligne du séparateur (BigRIPS) d'où arrivent les noyaux exotiques sélectionnés. Ils sont implantés dans le dispositif utilisant des diodes silicium, qui n'est pas visible directement car il est situé au cœur de l'ensemble de détection qui se trouve à gauche sur la photo. © Mathias Gerbaux

 

Depuis leur première détection dans les années 2000, de nouveaux systèmes de détections ont été développés afin d’observer individuellement les protons émis, et de déterminer les corrélations entre les énergies et les angles d’émission de chacun. Un premier dispositif, une chambre à projection temporelle, a été développé au CENBG, qui a permis la première observation directe du phénomène pour 45Fe (GANIL 2007), puis de 54Zn (GANIL 2011). À la suite de ces premiers résultats, des travaux similaires ont été menés par une équipe de Varsovie sur le noyau 45Fe (MSU 2007) et a permis l’observation directe de quelques événement de radioactivité 2-protons de 48Ni (28 protons et 20 neutrons, en 2014).

 

Jusque-là, trois noyaux étaient donc identifiés comme donnant lieu à ce type de radioactivité, et les toutes premières informations concernant les corrélations ont montré l’importance de ces mesures pour une compréhension microscopique de ce phénomène difficile à reproduire d’un point de vue théorique. Afin de développer et de valider une description théorique alliant la structure du noyau et la dynamique de l’émission, il est nécessaire de pouvoir assoir cette compréhension sur une plus large gamme de cas.

 

C’est dans ce contexte qu’une expérience a été proposée au RIKEN de Tokyo, pour produire de nouveaux candidats potentiels. L’expérience, réalisée par l’équipe du CENBG (en collaboration avec des équipes internationales) en 2015, a permis de produire les noyaux 59Ge, 63Se et 67Kr, ces deux derniers étant identifiés pour la première fois. De plus, dans le cas de 67Kr (36 protons, 31 neutrons) la radioactivité 2-protons a été établie sur la base de mesures indirectes (similaires à la découverte du phénomène dans le cas de 45Fe).

 

Ces travaux se poursuivent, notamment avec le développement d’un nouveau dispositif pour l’observation directe et individuelle des protons émis, le détecteur ACTAR TPC. Ce dispositif doit être utilisé au GANIL pour 48Ni et/ou 54Zn et au RIKEN pour 67Kr. Le cas de 67Kr est d’autant plus intéressant que les premiers calculs théoriques ne permettent pas de reproduire les résultats expérimentaux, fait qui peut éventuellement être lié à la forme de ce noyau, ou encore à un mécanisme d’émission plus complexe. Ces mesures à venir doivent apporter de nouvelles données sur les corrélations entre les protons, afin de tenter de clarifier ce phénomène unique du monde subatomique.

 

Pour en savoir plus

 

Contacts chercheurs

  • Jérôme Giovinazzo, chargé de recherches CNRS
  • Bertram Blank, directeur de recherche CNRS

 

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