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Nouvelle scientifique
Le 9 mai 2017
Le détecteur Stereo entre dans la course au neutrino stérile
Installé près du réacteur de recherche de l’Institut Laue-Langevin (ILL), le détecteur Sterile reactor oscillation (Stereo) prend des données depuis le 11 novembre 2016. Son objectif : tester l’existence du neutrino stérile, particule hypothétique qui remettrait en question la définition actuelle de l’architecture de l’Univers. Le Laboratoire de physique subatomique et de cosmologie (LPSC, CNRS/Université Grenoble Alpes/Grenoble INP) et le Laboratoire d'Annecy-le-Vieux de physique des particules (LAPP, CNRS/Université Savoie Mont Blanc) sont particulièrement impliqués dans cette expérience.
Le détecteur Stereo est un projet d’envergure qui cherche à confirmer, ou à réfuter, l’existence d’un nouvel état du neutrino, le "neutrino stérile". Contrairement aux trois états déjà connus, celui-ci serait insensible aux interactions électromagnétique, forte et faible, pour n'être sensible qu'à la force gravitationnelle. Son existence, si elle était confirmée, serait une avancée majeure pour la physique des particules et la cosmologie. Elle ouvrirait en effet la voie à des particules non accessibles par les interactions du modèle standard qui pourraient composer la matière noire (qui représente 27 % de l'Univers, contre 5 % pour la matière visible) et seraient aussi impliqués dans l'asymétrie entre matière et antimatière au sein de l'Univers.
Déplacement sur coussin d'air de Stereo vers la position de mesure. ©Serge Claisse
L’engouement autour du neutrino stérile a connu un nouvel élan à l’échelle mondiale en 2011 suite à la découverte par les équipes de l’Institut de recherche sur les lois fondamentales de l'Univers (Irfu, CEA) d’un déficit significatif dans le nombre d’antineutrinos détectés à courte distance des réacteurs nucléaires. L’anomalie pourrait s’expliquer par l’existence de neutrinos stériles et plusieurs projets expérimentaux susceptibles de débusquer ces particules sont en cours. Les réacteurs nucléaires émettent un nombre important d’antineutrinos électroniques suite à la désintégration des produits de fissions. Une partie d’entre eux disparait en oscillant vers un nouvel état indétectable par les détecteurs en place. Ce phénomène d’oscillation est bien établi pour ce qui est des trois états connus des neutrinos mais l’oscillation intervient alors à grande distance de la source. Si le déficit observé est lié à une oscillation à courte distance il serait la signature d’un quatrième état du neutrino. Stereo a pour ambition d’obtenir une preuve directe de l’oscillation en la suivant sur plusieurs mètres avec un détecteur segmenté placé au plus près (10 mètres) du cœur du réacteur de recherche de l’ILL à Grenoble.
Un neutrino très convoitéCe type de mesures a été adopté par d’autres laboratoires de par le monde avec une technologie plus simple (NEOS en Corée) ou plus sophistiquée (SoLid en Belgique). D’autres expériences recherchent une oscillation avec une source de neutrinos électroniques (CeSox en Italie) ou muonique (MINOS) tandis que des expériences non dédiées (Planck, IceCube) ont déjà mis des contraintes sur l’existence d’un neutrino stérile sans que la question puisse être définitivement tranchée. L’expérience internationale Daya Bay, en Chine, est elle aussi en quête de ses fameux neutrinos stériles. Ses récents résultats auraient tendance à infirmer leur existence, ce qui augmente les défis de la compétition internationale dans ce domaine.
Détecteur interne inséré dans les blindages à l'ILL. ©Serge Claisse
La spécificité de Stereo par rapport aux expériences de même type est le cœur très compact du réacteur de l’ILL, aux émissions précises et maîtrisées. Le détecteur, lui, utilise une technologie éprouvée basée sur un liquide scintillant dopé au Gadolinium. Même si tous les paramètres n’ont pas encore été testés, les premiers résultats sont encourageants : le bruit de fond induit par le réacteur est conforme au cahier des charges, tout comme le niveau de lumière émise et collectée. En effet, les neutrinos produits par le réacteur sont captés dans le liquide scintillant constituant le cœur du détecteur, et c’est la lumière produite par cette réaction qui est mesurée et analysée.
93 tonnes pour trouver une particule de masse quasi-nulleMesurer cette lumière demande un détecteur de taille modeste (3 m x 2 m x 1,5 m), mais il faut l’entourer d’une coque de 93 tonnes de blindage et des murs d’isolation d’une masse totale de 70 tonnes. En effet, les neutrinos interagissent très peu avec la matière ordinaire et le nombre de neutrinos attendus n’est que de 400 par jour. Par contre, la proximité du cœur du réacteur constitue un environnement « bruyant » en neutrons et gammas. Pour espérer détecter les neutrinos, il faut protéger le détecteur des signaux produits par ces autres particules par des blindages de polyéthylène et de plomb. Un autre type de particules peut également brouiller le signal des neutrinos, il s’agit des muons d’origine cosmique pour lesquels les blindages s’avèrent inefficaces. Il convient alors de stopper la prise de données après le passage d’un muon. C’est le détecteur de muons, une cuve d’eau ultra-pure couvrant la surface supérieure du détecteur, qui donnera le signal d’arrêt.
Vue du détecteur interne en cours d'assemblage au LPSC. ©Serge Claisse
La partie centrale du détecteur Stereo est remplie par le scintillateur élaboré par l’Institut Max Planck de physique nucléaire (MPIK Heidelberg, en Allemagne). Celui-ci est réparti dans les différentes cellules du détecteur interne, œuvre de l’Irfu/SPhN et il est scruté par le dessus à l’aide de détecteurs de lumière ultra sensibles (des photomultiplicateurs). Le LPSC et le LAPP, ont été chargés de la protection du détecteur vis à vis des bruits de fond (détecteur « véto muons », blindages en plomb et polyéthylène), de l’électronique d’acquisition de données et du système d’étalonnage du détecteur. La première campagne de mesure s’est arrêtée le 12 mars 2017. Elle permettra de donner une première estimation des paramètres de l’oscillation si elle existe. D’autres campagnes seront nécessaires pour confirmer ou rejeter de manière certaine l’oscillation. Le projet Stereo est soutenu financièrement par l’Agence nationale de la recherche (ANR) pour la période 2013-2017 (incluant une phase d’études et construction qui aura duré 3 ans puis la phase actuelle d’exploitation), mais aussi en France par le CNRS, le CEA et l’Institut Laue-Laungevin (ILL, Grenoble) ; en Allemagne par l’Institut Max Plank. Le projet bénéficie également du soutien du labex ENIGMASS pour l’accueil de post-doctorants et stagiaires.
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